La conspiration babouviste dans l’Ain : mythe ou réalité ?

Le 8 prairial an IV, Alban – maire de Bourg en l’an II – Gay et Bataillard – tous deux connus pour leur activisme sans-culotte –, sont dénoncés comme membres de la conspiration de Babeuf par l’accusateur du tribunal criminel de l’Ain. A en croire ce dernier, ils se feraient en effet les relais des écrits du « tribun du peuple » à Bourg. En Bresse, l’instituteur Robin est également appréhendé pour avoir « prêché les monstrueuses théories babouvistes » à Arbigny et à Pont-de-Vaux. S’il s’avère que Robin est effectivement un correspondant de Babeuf, les accusations portées contre les trois Burgiens sont vraisemblablement fallacieuses.

En effet, ces accusations interviennent au moment où le président du jury de police correctionnelle de l’arrondissement de Bourg est chargé d’instruire l’affaire du massacre des sans-culottes locaux (30 germinal an III). Le 12 prairial an IV, il décide donc de lancer une enquête auprès des juges de paix des cantons de Treffort et de Bourg. Or, le même jour, l’accusateur public du tribunal criminel de l’Ain le charge d’instruire une procédure contre Alban, Gay et Bataillard « et d’autres prévenus de conspiration ».

Alban – dont les papiers sont placés sous scellés – avait été arrêté la veille en possession de deux lettres, l’une destinée à l’imprimeur Libois, l’autre à un marchand de vin installé à Paris. Sommé de les ouvrir, Alban s’y refuse. Aussi, l’accusateur public les expédie-t-il sur le champ au ministre de la Police Générale, cela afin de ne pas enfreindre la Loi. Le 13, une ordonnance remet en liberté provisoire Pierre Bouvard, cautionné par Charles Perrin – cultivateur au Blanchon – et Louis Gavet, originaire de Pont d’Ain. D’autres ordonnances défèrent François Meunier devant le directeur du jury d’accusation de Lons, ordonnent une visite domiciliaire chez Alban, Gay et Bataillard. Enfin, une dernière met Pierre Charmette en liberté provisoire, sous le cautionnement de Bichat. Mais une série d’événements viennent corroborer la thèse d’un complot babouviste dans l’Ain.

Accompagné d’officiers municipaux et de la force armée, Reydellet vient perquisitionner au domicile d’Alban mais trouve porte close. Tandis qu’est requis le renfort d’un serrurier, Alban profite de ce répit pour fuir par les jardins ; tentative qui se révèle infructueuse, puisqu’il est arrêté par la foule avant que la force armée n’intervienne.

Ce même jour, le coutelier Martin Lépine, originaire de Lyon, est arrêté à Pont d’Ain en possession de deux passeports – l’un émis à Lyon, l’autre, à Dijon –, auquel s’ajoute une carte de sûreté le domiciliant dans la capitale bourguignonne. Il est mis en état d’arrestation pour avoir affirmé « qu’il fuit Lyon et que ce sont les massacres qui le font fuir ». Suite à l’obtention de renseignements auprès de personnes de sa connaissance, Lépine est reconnu tel « un exclusif des plus enragés ». Dès lors, alors que Pont d’Ain est considérée par les autorités locales comme « le refuge de quelques gens de cette trempe », la chasse aux babouvistes de l’Ain est ouverte. Les résultats sont néanmoins fort minces. En effet, le 4 messidor an IV, cinq personnes, arrêtées pour avoir voulu entrer dans les prisons, sont libérées. De même, Delorme, Rollet et Vuitton sont relâchés sous caution. Perrodet est, lui, renvoyé au juge de paix du canton de Bourg-campagne. Quant à Caninet et Gachy, ils sont appréhendés, conduits en prison et déférés devant le tribunal criminel. Tous ces événements sont montés en épingle par le Courrier Républicain. En effet, dans son édition le 16 prairial, ce journal assure qu’Alban, Gay et Bataillard ont formé un rassemblement en ville le 7 prairial, ce qui s’avère inexact.

Quoique l’instituteur Robin ait affirmé publiquement, lors de rassemblements qu’il a lui-même provoqués, que

l’on avait guillotiné les riches, les nobles, les procureurs et avocats qui pillaient le peuple, mais qu’il y en avait encore à guillotine, que les sans-culottes triompheraient, et qu’il fallait se méfier de ceux qui mangeaient des poulets gras, que les terroristes, buveurs de sang et jacobins étaient ses amis,

la curée s’organise contre les anciens « terroristes » burgiens. Néanmoins, Reydellet aîné – lui-même ancien membre de la société des sans-culottes de Bourg – instruit l’affaire en ménageant les prévenus. De fait, dans une lettre datée du 8 fructidor, Alban le remercie pour sa sollicitude et son honnêteté.

Le 5e jour complémentaire de l’an IV, le ministre de la justice reproche à l’ancien président du jury de police correctionnelle de l’arrondissement de Bourg d’avoir incarcéré Alban, alors qu’aucun mandat ne le visait. Le 7 vendémiaire an V, le nouveau président du jury de police correctionnelle de l’arrondissement de Bourg s’insurge de cette accusation et assure au ministre que son prédécesseur a été trompé. En outre, le 11 vendémiaire, il transmet le mandat d’arrêt lancé par ce dernier contre Alban, afin de prouver cette assertion. De fait, l’ex-maire de Bourg est renvoyé devant la haute cour de justice le 16 frimaire. Egalement visé, Gay parvient à s’enfuir.

Le 7 nivôse, le jury spécial porte de nouvelles accusations contre Alban et Gay, et ordonne en conséquence que ces deux hommes soient de nouveau arrêtés. Dans le même temps, les charges pesant sur Bonnet, Reverdy, Carrier, Bremenal, Nallet et Deschamps sont abandonnées ; ceux-ci sont donc remis en liberté. Traduit devant la haute cour de justice de Vendôme, Alban est finalement acquitté. Aussi, le complot babouviste de l’Ain relève-t-il surtout des inquiétudes des administrateurs locaux plus que d’une réalité tangible.