Les « fonds de giberne » : Anecdotes sur la vie militaire

De l’uniformité des tenues militaires sous le 1er Empire.

Par Jean Brunon (†).

Un texte à méditer par tout reconstituteur ou uniformologue qui se respecte …

On est un peu hypnotisé, quand on étudie les uniformes, surtout pour la période du 1er Empire, par la fantaisie qui a régi l’habillement des troupes et cet état d’esprit a fréquemment conduit les auteurs a négliger la recherche de ce que devait être l’uniforme réglementaire.

Cette recherche est pourtant, quoiqu’il puisse paraître, la base fondamentale de toute étude de ce genre car nombreux sont les régiments qui ne s’en sont pas écartés.

Ainsi, par exemple, pour les chasseurs à cheval, dont il existe plusieurs descriptions d’uniformes, je n’en connais aucune qui, pour la période allant de 1806 à 1813, ait eu le soin de décrire quelle était de par le règlement la tenue affectée à ces régiments. Tout le monde ou presque vous dira qu’elle comportait un habit surtout, un gilet de couleur distinctive tressé, une culotte de drap et une surculotte. C’est cependant inexact, en grande partie. Le gilet devait être en drap blanc avec une rangée de boutons de métal, et la culotte devait être basanée en cuir entre les jambes. Quant à la surculotte, elle n’existait pas.

On me demandera, certes, si je crois que tous les régiments adoptèrent cette tenue réglementaire. Et je n’hésiterai pas à répondre que j’en suis persuadé, au début dans le plus grand nombre des corps, tout au moins pour les effets distribués au fur et à mesure des remplacements. Car les ordonnances sont surtout exécutées lors de leur création et ce n’est qu’au cours des années qu’elles subissent des déformations. Il est certain que l’éloignement des régiments et leurs dispersion dans des pays plus ou moins favorisés au point de vue des fournitures ont obligé les chefs de corps à utiliser des effets non réglementaires et leur ont fourni aussi souvent un prétexte pour justifier leur goût pour la fantaisie et leur désir de distinguer leur escadron par une tenue particulière. C’est là un côté de la question qui a été souvent exploité. Mais on s’est bien gardé de faire état de la contre-parti, qui a pourtant son importance.

Je ne parlerai pas ici des colonels qui observaient strictement le règlement. Il y en a eu de tout temps, et je citerai, à l’appui de ma thèse, le fameux colonel Préval, commandant du 3e régiment de cuirassiers dont les trompettes, conformément à une prescription, la seule ayant trait à ce sujet, portaient la tenue de la troupe avec un simple galon au col et aux parements.

J’insisterai seulement sur trois faits autrement patents :

  • Sous le 1er Empire, l’Etat n’a jamais cessé de confectionner des effets de toutes sortes, qu’il distribuait au corps sous deux formes. A titre de gratification, comme récompense pour actions d’éclat, à titre de secours, après des affaires sanglantes qui mettaient les régiments dans l’impossibilité de ré-équiper les hommes.
  • Pendant la guerre d’Espagne, il y eut – en Charente et à Bayonne – des ateliers à couture, ayant jusqu’à mille ouvriers, pour confectionner des effets de toutes sortes qui étaient expédiés aux corps.
  • Enfin, en 1813, au moment ou nos régiments regagnaient la France en combattant et où les dépôts n’avaient plus la stabilité nécessaire à la confection des effets, le grand dépôt de cavalerie de Versailles fut chargé de fournir à notre cavalerie son recrutement, sa remonte et son équipement complet.

Il est certain que dans ces trois cas, les objets confectionnés devaient l’être d’après les règlements et que ces distributions n’étaient pas faites pour diminuer la bigarrure des corps déjà suffisamment entretenue par les remplacements périodiques.


Le salut militaire sous le Consulat et l’Empire.

 

Officier de grenadiers à pied saluant Napoléon
Un  officier de grenadiers à pied de la Garde Impériale saluant l’Empereur lors d’une revue. Gravure allemande, vers 1806.

Un soldat qui rencontre un officier général – le commandant de place, le colonel ou l’officier supérieur (au dessus de capitaine) qui commande le régiment en son absence – doit s’arrêter, faire front, se placer comme sous les armes, et rester dans cette position jusqu’à ce que l’officier soit passé. Cette manière de saluer a pour but non seulement de rendre honneur, mais encore de se soumettre à l’inspection.

Le soldat qui rencontre tout autre officier, soit de son régiment, soit d’autres corps ou de l’état-major, salue sans s’arrêter en portant la main droite à la coiffure, shako, colback, mirliton ou bonnet de police.

Lorsque le soldat veut parler à un officier, il se lève s’il est assis. Lorsque le soldat parle à un officier et s’il porte un bonnet de police, il doit se décoiffer et tenir son couvre-chef à la hauteur du jarret. S’il porte un shako, un colback ou un mirliton, le soldat ne doit jamais se découvrir quelles que soient les circonstances. Il ne fait que porter la main à son couvre-chef, même en parlant, jusqu’à ce qu’on lui ordonne de la retirer.

Lorsqu’un soldat croise un fonctionnaire public revêtu de ses insignes, il doit aussi le saluer, comme lorsqu’il rencontre un médaillé de la Légion d’honneur portant sa décoration.


Femmes aux armées sous la Révolution et l’Empire.

Cantinière gravure de Martinet
Cantinière servant du vin à un grenadier à pied de la Garde Impériale – Gravure d’Aaron Martinet, bibliothèque du Musée de l’Armée.

Durant la Révolution, un grand nombre d’individus suivent les armées en marche ; parmi eux, beaucoup de femmes. Un décret de la Convention du 30 avril 1793 congédie des armées toutes les femmes jugées « inutiles », exception faite des vivandières, qui reçoivent alors une marque distinctive. Un arrêté du 7 thermidor an VIII réglemente le nombre de femmes – blanchisseuses et vivandières – autorisées à suivre les armées. Pour se faire reconnaître, celles-ci disposent d’une carte de sûreté qui leur permet de circuler dans toute l’étendue de l’armée. Elles marchent toujours à la suite des équipages, entre l’arrière-garde et la colonne.

« Aubergiste de la troupe », la cantinière est tolérée à raison d’une par bataillon et de deux par escadron. Le temps passant, les cantinières s’affranchissent du règlement et empiètent fréquemment sur les attributions des vivandières. Elles se mettent ainsi à vendre de la nourriture, du vin, des lacets, des mouchoirs ou du papier.

Ces femmes – femmes où filles de militaires – sont très proches de la troupe. De fait, elles sont souvent les compagnes de sous-officiers ou de simples soldats et partagent leur gloire, comme leur destin. Ainsi de Lucie Carlot, blanchisseuse au 2e bataillon du 60e régiment d’infanterie de ligne. Née dans le canton de Nantua, elle est la fille de Claude, soldat à la 3e compagnie du 2e bataillon du régiment, matricule 766. Ce dernier décède à Raguse, en Dalmatie, le 30 avril 1808 ; Lucie est elle-même emportée par les fièvres à Gérone, le samedi 14 novembre 1812.